(1893-1970)
De vertu et de sang intercontinentaux, José Sobral de Almada Negreiros est né le 7 avril 1893 dans la propriété de Roça da Saudade sur l’Ile de São Tomé-et-Principe (golfe de Guinée), terre d’origine de sa mère, dont la municipalité était gérée par son père, journaliste et colonialiste, originaire d’Aljustrel (ville du district de Beja, dans la région de l’Alentejo, au Sud du Portugal). Almada Negreiros est mort le 15 juin 1970 à l’hôpital São Luís dos Franceses, à Lisbonne, dans la chambre même où s’était éteint Fernando Pessoa, à qui il a écrit l’Ode dans laquelle on peut lire « A Portugal, a voz vem-lhe sempre depois da idade » [Le Portugal, la voix lui parvient toujours après l’âge] (« Ode a Fernando Pessoa »). En 1900, il entre comme interne au collège jésuite de Campolide, à Lisbonne, lorsque son père est nommé responsable du Pavillon des Colonies de l’Exposition universelle de Paris. En 1910, la Première République portugaise (1910-1926) ferme ce collège et Almada part pour Coimbra. En 1911, il entre à l’École internationale de Lisbonne, qu’il fréquentera jusqu’en 1913. Cette époque marque le début de ses nombreuses expositions individuelles, au Portugal et à l’étranger. L’errance a aussi revêtu divers modes d’expression et l’a amené, par l’intermédiaire de « Narcisse d’Egypte, qui était sa patrie » (França, 1997 : 17), à devenir peintre, dessinateur, vitrailliste, romancier, essayiste, critique d’art, conférencier, dramaturge, bref, comme le dit Herberto Helder : « Almada avait trouvé le point exact dans la trame des points, le centre, pour y mettre le pied ». L’année 1915 est une année riche en production artistique et littéraire pour Almada Negreiros. C’est l’année où se révèle particulièrement la nouvelle identité de son cosmopolitisme véhiculé par le sensationnisme de la revue littéraire Orpheu (1915) qui se propose d’« Être-tout-de-toutes-les-manières » et d’être un art national sans être nationaliste, pouvant circuler en Europe. Il participe à la troisième exposition des humoristes portugais, à Porto. Dans le premier numéro de la revue Orpheu, il publie Frisos où on peut lire « J’aime la lune du côté que je n’ai jamais vu. » (dans « Canção da Saudade »). Il écrit le poème dédié à Alvaro de Campos « Cena do Ódio » [Scène de la haine], publié partiellement en 1923 puis intégralement en 1958, où il s’auto-définit comme « un poète sensationniste et Narcisse d’Egypte », et où il donne comme conseil : « Laisse tout tomber, même toi ! » au nom de « l’Hégémonie du Moi », de « [s]on ressenti international ».
Avec le Manifesto Anti-Dantas e por extenso (1915) [Manifeste Anti-Dantas et en toutes lettres], en réaction à la première d’une pièce de Júlio Dantas, et le Manifesto da Exposição de Souza Cardoso (1916), Almada Negreiros annonce l’apparition du futurisme au Portugal, bien avant la visite au Portugal du fondateur du futurisme italien, F.T Marinetti, en 1932. Mima Fataxa – Sinfonia Cosmopolita e Apologia do Triângulo Feminino (1916) illustre la singularité satirique qu’adopte le futurisme de Negreiros dans le contexte du modernisme européen : « Sélection des exotériques / Nuances sombres de l’Europe / Entourage du gentleman / Wilde, Nijinski et moi : mélodie sacro-sainte de la chair ! ».
En 1914, il avait pensé partir pour Paris, où l’attendait Mário de Sá Carneiro. Cependant, il ne s’y rendra qu’en 1919. C’est là qu’il se consacre au dessin, qu’il est danseur de cabaret, qu’il travaille dans un entrepôt et qu’il écrit Antes de Começar [Avant de commencer], pièce de théâtre en un seul acte qui a pour personnages deux marionnettes (un homme et une femme) qui se comportent comme des êtres humains, quelque part dans le théâtre du monde. C’est aussi lors de sa première année à Paris qu’il écrit et illustre Histoire du Portugal par cœur, texte qui revendique une histoire personnelle de son pays, met l’accent sur une période pendant laquelle la collectivité et l’individualité étaient en équilibre – la période des grandes découvertes – et qui sélectionne ses lecteurs puisqu’il est écrit dans une langue étrangère : « par cœur, c’est-à-dire – c’est le cœur qui s’en souvient ! ». Dans une conférence donnée avant de partir pour Lisbonne – en 1926, lors de la fête de clôture du deuxième salon d’automne – intitulée « Modernisme », Almada Negreiros affirme clairement ce qu’il a compris à l’étranger : « l’art ne peut vivre sans la patrie de l’artiste » sachant que « les règles de la pensée universelle ne peuvent être trouvées que par chacun d’entre nous isolément ».
Il part pour Madrid en 1927 et y reste jusqu’en 1932. Trois mois après son arrivée, en juin, Almada établit une relation importante entre les avant-gardistes péninsulaires en réalisant une exposition de dessins dans les salons de l’Union ibéro-américaine, une initiative de La Gaceta Literária qui avait pour collaborateurs Luis Buñuel, Ortega et Gasset, Ramon Gomez de La Serna et de nombreux autres, dont « le Portugais Almada ». À partir de 1928, il présente le pavillon la Ciudad Magica Portuguesa [Ville magique portugaise] sur de nombreuses foires espagnoles, il écrit El uno, tragedia de la Unidad, qui comporte deux pièces de théâtre : Deseja-se Mulher (publiée en 1959 ; littéralement « Désire femme » sur le modèle des petites annonces « Cherche femme » qui se traduirait par « Procura-se Mulher ») et SOS (deuxième acte publié dans les carnets SW-Sudoeste, en 1935), qu’il présente au public portugais lors de la conférence « Direcção Única », dès son retour à Lisbonne après six ans passés à l’étranger.
Dans Prometeu, Espiritual da Europa [Prométhée, Spirituel de l’Europe], essai publié dans SW-Sudoeste en 1935, Almada dit que « les continents ont leur propre expression spirituelle à côté de la géographie physique et politique ». Il parle du fait que l’Europe a trouvé sa cohésion dans la différence et que le Portugal se caractérise par une culture de frontière. Il s’agit là d’une perspective qu’il adoptera désormais dans sa vie et dans son œuvre. Pendant les années qui ont suivi et qu’il a passées grosso modo au Portugal, il a complété sa production artistique, qui s’étale ainsi sur plus de cinq décennies, en faisant comme il l’a dit dans le poème As Cinco Canções Mágicas : « Je ne tiens que dans cet univers / et plus qu’en moi-même / c’est ainsi qu’on m’a amené depuis le début / comme on a pu jusqu’ici / inviolé par la présence de toutes les / actualités ».
Lieux de passage
Portugal, France, Espagne.
Citations
Une nuit de bridge, selon ma sympathie désinvolte habituelle, alors que les étoiles, orifices de lumières dans le firmament, guettaient avec stupéfaction les jardins plongés dans l’obscurité, j’ai commencé à distinguer intelligemment la vie à Londres de la vie à Lisbonne et je séparais avec élégance mes diverses raisons en les comptant sur mes doigts bien soignés. Elle a tourné vers moi son profil stylisé de noblesse où transparaissait toute la gloire des blasons de ses ancêtres et elle m’a approuvé, les yeux posés sur l’étui à cigarettes en argent mat reluisant sur le tapis vert de la table de bridge : elle dit très bien ! Et peu à peu, comme deux astres perdus dans l’infini, dont les trajectoires préalablement tracées par Celui qui régit tout, doivent forcément se croiser un jour, de même nos deux âmes, je l’avais déjà pressenti plusieurs fois, il était inévitable que tôt ou tard elles finiraient par se retrouver face à face. Et, heureusement pour moi, je ne me suis pas trompé ! (notre traduction de K4 – O Quadrado Azul, LISBONNE 1917- EUROPE modelo 1920).
ICI LE PORTUGAL
Ici le Portugal
Bicesse
Le Bout-du-Monde le plus proche de
Lisbonne et de la belle fleur de lys
Et
Entre la Serra da Lua (Sintra)
Les grottes et la nécropole de ceux
Qui sont nés en Crête
Sont passés par Homère
Par le Christ
Et par la vue de Rome
Sont sortis de la Méditerranée
Et y sont restés et passés
Amenant avec eux partout
La Civilisation de la Liberté individuelle
De l’Homme
(Notre traduction de « Aqui Portugal »)
Bibliographie primaire (sélection)
NEGREIROS, Almada (1965), Orpheu 1915-1965, Lisboa, Ática.
—- (1982) Sudoeste, Ed. Fac-similada, Lisboa, Contexto.
—- (1997) Almada Negreiros – Obra Completa, org. Alexei Bueno, Introduction José Augusto França, Rio de Janeiro: Editions Nova Aguilar.
—- (2000) K4 – O Quadrado Azul, Eds. Fernando Cabral Martins, Luis Manuel Gaspar e Mariana P. Santos, Lisboa, Assírio & Alvim.
—- (2002) Ficções, Eds. Fernando Cabral Martins, Luis Manuel Gaspar e Mariana P. Santos, Lisboa, Assírio & Alvim.
—- (2005) Poemas, Eds. Fernando Cabral Martins, Luis Manuel Gaspar e Mariana P. Santos, Lisboa, Assírio & Alvim.
—- (2006) Manifestos e Conferências, Eds. Fernando Cabral Martins, Luis Manuel Gaspar e Mariana P. Santos, Lisboa, Assírio & Alvim.
Bibliographie secondaire (sélection)
AMARAL, Ana Luísa (1990), “’A Cena do Ódio’ de Almada Negreiros e TheWaste Land de T.S. Eliot”, Colóquio/Letras, 113-114, 1990.
FRANÇA, José-Augusto (1974), Almada, O português sem mestre, Lisboa, estúdios Cor.
—- (1986) Amadeo & Almada, Lisboa, Bertrand Editora.
—- (1988) Almada, Paris, Centre Culturel Portugais, Fondation Calouste Gulbenkian.
—- (1997) “Introdução” a Almada Negreiros – Obra Completa, org. Alexei Bueno, Rio de Janeiro, Editions Nova Aguilar.
HELDER, Herberto (2002), “Desalmadamente”, Jornal O Público, 26 janvier.
LOURENÇO, Eduardo (s.d.), “Presença ou a contra-revolução do modernismo português”, Porto, Porto Editora.
—- (1985) “Almada, ensaísta?”, Actas do Colóquio Almada, Lisboa, Fondation Calouste Gulbenkian, 79-85.
MAGALHÃES, Isabel Allegro de (1987), “Almada: ‘Mima-Fataxa’ em dois tempos”, Colóquio/Letras, 49-59.
MARTINS, Fernando Cabral (2004), “A Cidade Mágica Portuguesa”, Marginálias – RamónGomez de la Serna / José de Almada Negreiros, Lisboa, Assírio & Alvim.
MOURÃO-FERREIRA, David (1979), “Almada Negreiros”, Portugal, a terra e o homem, v. II, Lisboa, Fondation Calouste Gulbenkian / INCM, 55-64.
O’NEILL, Alexandre (1984), “Almada, para além da tela ou do Fabriano”, Jornal de Letras, Artes e Ideias, 18 Set..
PEDRO, António (1932), “À margem dum livro: Direcção única”, Revolução, 22 Jul..
PEREIRA, Margarida / VELOSO, Manuela, “A Inter-(in)dependência de Wyndham Lewis e Almada Negreiros face às vanguardas europeias”, Literatura e Pluralidade Cultural, Actas do III Congresso Nacional da Associação Portuguesa de Literatura Comparada, Lisboa, Editions Colibri, 297-308, 2000.
SILVA, Celina, “A ficção da pátria em Almada Negreiros”, Revista da Faculdade de Letras, II série, v. IV, 341-349,1987.
TORGA, Miguel, Almada Dessins, Paris, Centre Culturel Portugais, 1993.
Version originale en portugais: Manuela Veloso
Traduction: Tania Martins
Révision: Estelle Brugel et Françoise Bacquelaine