Quaghebeur, Marc

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Quaghebeur, Marc

(1947-)

Paul Aron résume clairement la formation et le parcours académique de Marc Quaghebeur – écrivain, poète, critique et essayiste belge francophone, l’un des principaux mentors de la « belgitude » (mouvement de revendication identitaire et culturelle que la Belgique a connu au tournant des années 1980) : « (…) en mobilisant un savoir universitaire nourri par les leçons de Sartre et de la psychanalyse (…), il plaide pour que l’on inscrive les auteurs belges dans les réalités de l’histoire nationale y compris ceux qui, parmi eux, dénient toute efficace à cette inscription » (Postface de Balises, 412).

En effet, à partir de sa thèse de doctorat L’Œuvre nommée Rimbaud, Marc Quaghebeur a développé un sens aigu des exigences de la modernité esthétique, des implications linguistiques dans la création et l’imaginaire littéraires, ainsi que de la contextualisation historique inévitable de l’œuvre littéraire francophone produite en dehors du contexte français.

La combinaison de ces approches à l’heure où le manifeste « Une autre Belgique » est publié à Paris dans le magazine Les Nouvelles Littéraires(1976), l’amène spontanément à considérer la spécificité du corpus littéraire belge francophone dans une perspective périphérique, en dehors de la grille de lecture hexagonale, marquée par l’acception romantique et nationale de la littérature et de l’Histoire.

Marc Quaghebeur développera ces idées et ces intuitions théoriques dans deux essais centraux : Balises pour l’histoire des lettres belges (1998) etLettres belges.Entre absence et magie (1990), ainsi que dans de nombreux articles critiques, incontournables pour appréhender la littérature belge de langue française, tels que « Littérature et fonctionnement idéologique en Belgique francophone », publié en 1980 dans le numéro mémorable de la revue de l’Université libre de Bruxelles (ULB), LaBelgique malgré tout.

Marié à Leonor Lourenço de Abreu, professeure d’université, chercheuse et traductrice portugaise établie en Belgique, Marc Quaghebeur a tissé des relations culturelles et affectives très intenses avec le Portugal. Le souci d’inscrire la littérature dans l’Histoire – également sensible dans son écriture poétique lorsque l’horizon référentiel de ses poèmes et de ses romans renvoie à une époque où les Pays-Bas méridionaux et le Portugal se trouvaient sous la même tutelle impériale de Castille – accentue subtilement une affinité et induit une lecture thématique et critique comparative.

Notons, d’ailleurs, le long poème La Nuit de Yuste(1999) où le narrateur revisite sur un ton intimiste les derniers jours de Charles Quint après son retrait au monastère espagnol de Yuste, lorsqu’il abdiqua en faveur de son fils Philippe II. Notons aussi que l’empereur avait épousé Isabelle de Portugal : « Que de fois on y détourna mes     ordonnances ! Et c’est le Portugal qui tint les mailles des grandes eaux, lointain jamais fondé. C’est Lui qui emporta l’Orient. Gloires et déboires » (idem : 49).

Dans la production critique de Marc Quaghebeur – qui, entre-temps, a dirigé plusieurs thèses de doctorat en littérature belge de langue française au Portugal – se distingue une étude exhaustive et diachronique sur la présence thématique du Portugal dans la littérature belge de langue française : « Présences du Portugal dans les lettres belges de langue française » (2002).

Enfin, en tant que responsable des Archives et Musée de la Littérature (Bruxelles) et directeur de nombreuses collections éditoriales, Marc Quaghebeur a été le promoteur de la création de nombreux centres d’étude et de diffusion de la littérature belge de langue française en Europe, dont le Centre d’Études de Littérature Belge de l’Université de Coimbra (CELBUC). Il convient aussi de mentionner ses nombreuses participations en tant que conférencier invité à diverses réunions scientifiques organisées au Portugal.

 

Citations

Dès le XVIèmesiècle, la France choisit de n’opter ni pour Rome ni pour la Réforme, mais pour elle-même. Elle se veut gallicane. Parallèlement à la centralisation moderne de l’État, elle (…) applique au monde une vision rationnelle et analytique (…). Celle-ci aboutit à la Révolution. Rien de tout cela n’a baigné les provinces qui forment aujourd’hui la Belgique. Les mentalités qui y prévalurent ont d’autres racines. (Quaghebeur, 1990: 18)

(…) la majorité des francophones de Belgique ne poss[èdent] aucune conscience d’un patrimoine littéraire qui leur serait propre. (Quaghebeur, 1998: 9)

Dans le corpus des lettres belges de langue française, l’image du Portugal ne revêt pas la même importance que celles de l’Espagne, de l’Italie, de la France ou de l’Allemagne. Jamais, en effet, elle n’y est devenue un mythe collectif, comparable au mythe fondateur de l’Espagne noire, mythe qui va de pair avec celui des Gueux et du Pays de Cocagne (…) Tout cela n’empêche pas l’une ou l’autre image du Portugal, voire le Portugal, d’occuper chez tel ou tel(le) auteur une place extrêmement significative. (Quaghebeur, 2002: 127)

 

Bibliographie primaire (sélection)

 

Essais

Lettres belges. Entre absence et magie (1990), Bruxelles, Labor.
Un pays d’irréguliers (1990), Bruxelles, Labor.
Vivre à la mort, parler, n’être rien, être personne. Une lecture de « Oui » par Thomas Bernhard (1990), Arles, Actes Sud.
Belgique : la première des littératures francophones non françaises (1993), Copenhague,Akademisk forlag.
Balises pour l’histoire des lettres belges (1998), Bruxelles, Labor.
Anthologie de la littérature française de Belgique : entre réel et surréel (2006), Bruxelles,Racine.

 

Articles

« Littérature et fonctionnement idéologique en Belgique francophone » (1980), La Belgiquemalgré tout, Revue de l’Université de Bruxelles, numéro composé par Jacques Sojcher.
« Et si nous cessions d’hypostasier la langue ? » (1998), Belgique toujours grande et belle, Revue de l’Université de Bruxelles, Ed. Complexe, numéro composé par Antoine Pickels et Jacques Sojcher.
« Présences du Portugal dans les lettres belges de langue française », Portugal e o Outro: uma relação assimétrica? Aveiro, U. Aveiro, 2002.

 

Poésie

Forclaz (1976), Paris, PJ. Oswald.
Le cycle de la morte. 1. L’Herbe seule (1979), Lausanne, L’Âge d’homme.
Le cycle de la morte. 2. Chiennelures (1983), Saint Clément de Rivière, Fata Morgana.
Le cycle de la morte. 3 L’Outrage (1897), Saint Clément de Rivière, Fata Morgana.
Le cycle de la morte. 4. Oiseaux (1989), Bruxelles, Jacques Antoine éditeur.
Le cycle de la morte. 5. À la mort (1990), Saint Clément de Rivière, Fata Morgana.
Les Vieilles (1991), Liège, Toulouse, Tétras Lyre.
Les Carmes du Saulchoir (1993), Toulouse, L’Ether vague.
Fins de siècle (1994), Amay, La Maison de la poésie d’Amay.
L’Eroi l’errance(1994), Toulouse, Tétras Lyre.
La Nuit de Yuste (1999), Bruxelles, Le Cormier.
Clairs obscurs : petites proses (2006), Cognac, Le Temps qu’il fait.
Les Grands Masques (2012), Waterloo, La Renaissance du livre.

 

Bibliographie secondaire (sélection)

GRAWEZ, Damien, « Littérature et conceptions historiographiques en Belgique francophone » (1995), Textures, nº 13, Lettres du jour (I).
ALMEIDA, José Domingues de Almeida, Auteurs inavoués, belges inavouables. La fiction,l’autofiction et la fiction de la Belgique dans l’œuvre romanesque de Conrad Detrez, Eugène Savitzkaya et Jean-Claude Pirotte. Une triple mitoyenneté, thèse de doctorat, inédite, Porto,FLUP, 2004.

 

Version originale en portugais: José Domingues de Almeida (05/01/2015)

 Traduction: Marta Vieira

 Révision: Nicole Almeida et Françoise Bacquelaine