(1947)
Urs Faes est né en 1947 à Aarau, en Suisse. Il a commencé par suivre une formation pédagogique, puis il a poursuivi ses études en Histoire, en Philologie germanique, en Philosophie et en Ethnologie pour les terminer par une thèse intitulée Le paganisme et les superstitions des Noirs africains selon des voyageurs allemands du XVIIe siècle. Il a commencé à écrire dans des journaux et des revues en 1970. Il est surtout connu en tant que romancier, mais il a également publié des poèmes, des contes, des pièces de théâtre et des pièces radiophoniques. Il vit à Zurich et en Ombrie, en Italie.
Faes a écrit neuf romans jusqu’en 2011. Une de ses thématiques préférées est la mémoire et il confère à l’action de ses romans divers niveaux temporels. Il s’interroge sur les raisons pour lesquelles autant de vies sont frustrées et sur ce qu’il manque pour atteindre un bonheur stable. Il s’interroge sur le langage en tant que condition du bonheur : au fur et à mesure que les personnages perdent la faculté de parler avec l’autre ou les autres, ils perdent la capacité d’être heureux. Ce sont des regards sur la vie de tous les jours en Suisse, des regards qui soulève le voile des apparences, de la normalité. Il observe les occasions manquées et les tentatives de dépassement, où la mémoire et la recherche du passé jouent un rôle très important.
Dans son roman de 2007, Liebesarchiv [Les archives de l’amour], Faes continue à se concentrer sur les problèmes des relations humaines, envisagées dans le contexte du présent et du passé. Un écrivain est amené à rechercher les racines de son père, un homme renfermé et taciturne selon ses souvenirs. Il rencontre par hasard l’ancienne maîtresse de son père, puis leur fille, Vera, qui lui donne une image différente de leur père : un homme joyeux et amusant. Cette rencontre l’incite à revisiter des épisodes du passé, dans des lieux différents, où est toujours présente l’image de son père, cet inconnu qu’il découvre par l’intermédiaire de quelqu’un d’autre. Dans cette incursion analeptique, il va aussi visiter son propre passé, à savoir un séjour au Portugal avec sa future femme dans la deuxième moitié des années 1970. En 1999, année correspondant au présent de l’histoire, le narrateur retourne à Lisbonne, cette fois pour participer, au Centre culturel de Belém, à un congrès sur les formes contemporaines d’identités, notamment collectives. L’univers lisboète de 1999 se transforme en lieu de souvenirs, quand le narrateur parcourt les mêmes endroits qu’il avait parcourus avec Therese. Les différents lieux, les places et les rues avec leurs monuments et leurs cafés, sur toile de fond du 25e anniversaire de la Révolution des Œillets (1974), l’aident à se souvenir des moments passés là-bas avec sa fiancée. Le narrateur projette dans ce qu’il voit ses expériences et ses soucis, notamment l’image de son père assis parmi les vieillards sur le Largo do Carmo, une petite place de Lisbonne.
Ces nombreuses histoires dont est composé le roman traduisent la recherche intérieure en vue de la compréhension du passé et de la construction de l’identité.
Lieux de passage
Portugal, Allemagne, Lettonie, Suisse
Citations
La semaine suivante, je me rendrais à Lisbonne pour le colloque au Centro Cultural de Belém. (Notre traduction de Faes 2007 : 208)
C’était mon troisième séjour à Lisbonne.
Je me suis installé à la petite pension dans la Rua da Condessa, près du Largo do Carmo; j’ai choisi cet hôtel miteux par pure nostalgie. J’avais séjourné à Lisbonne pour la première fois à la fin des années 1970. Je n’avais pas réalisé que l’on y fêtait justement le vingt-cinquième anniversaire de la Révolution des Œillets. À l’époque, c’est Therese, une étudiante en art, blonde, intelligente, rebelle, qui m’avait emmené à Lisbonne. […]
Revenir dans cette pension, c’était retrouver ce que nous étions alors, jeunes et insouciants et parfois pleins d’idées folles, entre Trotzky et les Rolling Stones. (Notre traduction de idem : 215)
C’est peut-être aussi pourquoi je me souviens toujours aussi bien de la chanson E depois do adeus [Et après l’au revoir], qui est passée à la radio la veille du 25 avril pour déclencher la Révolution […] Ces paroles de Paulo de Carvalho se mêlaient à la ville et à Thérèse, elles conservaient le parfum de sa peau. (Notre traduction de idem : 216)
J’ai fait quelques pas dans les ruines de l’église du Carmo, je n’aurais pas été surpris si Therese était entrée à ce moment-là par le petit portail et qu’elle s’était assise près de moi. […]
À travers le portail ouvert j’observais les vieillards assis sur les bancs du parc; ils se taisaient, chacun pour soi, […] ils étaient immobiles dans une dignité muette, sérieux, penauds, comme s’ils s’attendaient à une punition. (Notre traduction de idem : 217)
Je suis passé devant le café A Brasileira, j’ai monté les marches de l’église Notre-Dame de Lorette, de la balustrade, j’ai jeté un coup d’œil sur le Largo. Personne ne m’avait suivi. D’une façon presque exubérante, j’ai fait signe à Camões, qui, dans son monument, ressemblait à Prométhée, emprisonné et donc empêché de repartir à travers le monde et de découvrir de nouvelles terres. (Notre traduction de idem : 219)
Pourquoi le Cap de Roca ? Le bout de l’Europe, un nom qui sonnait comme quelque chose de mythique, l’idée d’ouverture, d’étendue, mais aussi d’abandon. Ça me plaisait, tout comme me plaisait l’idée que le Portugal regarde la mer et tourne le dos à l’Europe. (Notre traduction de idem : 221)
Le vent venu de la mer soufflait de plus en plus fort, faisait de plus en plus de bruit, un grondement qui emplissait tout. Au loin, j’ai aperçu un énorme bateau qui se frayait lentement un chemin à travers la mer déchainée par la tempête. (Notre traduction de idem : 225)
J’ai frappé à la porte de l’une des maisons, j’ai demandé un endroit pour dormir ; le paysan m’a montré une grange, m’a vendu du pain, un peu de charcuterie, une bouteille de vin. Je me suis assis sous l’auvent, j’ai mâché et j’ai regardé le bout de l’Europe. Avec beaucoup de plaisir, j’ai bu le vin légèrement aigre.
[…] Je me suis levé et je suis sorti de la grange, le bout de l’Europe était dans l’obscurité. Je me suis rendormi; quand je me suis réveillé, il faisait grand jour. Une lumière claire et tamisée sur la terre et la mer, sur les molènes, sur les daphnés. Je me souviendrais de ces noms.
Je me réjouissais de participer au congrès de Belém, je savais ce que j’avais à dire. (Notre traduction de idem : 226)
Bibliographie primaire (sélection)
FAES, Urs (2007), Liebesarchiv, Frankfurt am Main, Suhrkamp.
Bibliographie secondaire (sélection)
HUG, Heinz (2006), “Urs Faes”, Kritisches Lexikon zur deutschsprachigen Gegenwartsliteratur, edition text & kritik, München.
Version originale en portugais: Gonçalo Villas-Boas (2011/11/14)
Traduction du portugais: Sophie dos Santos
Traduction de l’allemand: Françoise Bacquelaine
Révision: Françoise Bacquelaine