Pirotte, Jean Claude

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Pirotte, Jean Claude

(1939-2014)

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La condition radicalement errante de l’écrivain, poète, peintre et œnologue belge Jean-Claude Pirotte découle de la conception « romanesque » qu’il a très tôt associée à l’existence. Selon lui, « la littérature précède l’existence ».

Ces aventures précoces et errantes s’inscrivent dans l’écriture autofictionnelle pirottienne. La pluie à Rethel (1982) évoque la fuite dans une Hollande mythique, alors que Cavale (1997) plonge dans une autre fuite, face à la justice cette fois ; une occasion de récupérer le passé errant : « Demeurant l’avocat que j’étais, je n’avais aucune chance de bonheur. Ma chance, c’est bien dans le ratage qu’elle était (…) » (Lettre à Nanou, 4 novembre 1978).

Ce « déplacement » continu l’emmènera au Portugal. Un voyage en automne (1996) évoque ce périple lusitanien après le suicide de sa fille, « circonstances troublantes » confiées à son ami António Lobo Antunes dans Plis perdus (1994). Le contexte nostalgique et « poétique » portugais fournit un cadre élégiaque à cette œuvre. Le manque qu’il ressent suite à la perte de sa fille se trouve renforcé par la « saudade » lusitanienne. Il traduit vers le français les lieux communs de la littérature portugaise tels que « nostalgie du présent » (Pirotte, 1996 : 19) ou « Roi disparu » (idem : 14).

Il devient chroniqueur et commente l’impact architectural de l’émigration sur les villages de la région de la Beira, au Nord du Portugal : « On voit aussi des jeunes nés en France ou ailleurs, arriver pour les vacances, en rêvant sans doute qu’ils retrouvent une vérité sensible » (idem : 129). Pour cet observateur, le développement portugais est ambigu : « Le Portugal s’est institué la victime consentante d’un assassinat du paysage » (idem : 109). Il craint de voir ce pays perdre ses caractéristiques séculaires sous l’effet de l’uniformisation à laquelle même le fameux fromage typique de la Serra da Estrela, au centre du pays, n’échappe pas : « Les jours du mythique fromage de serra sont comptés. Si je l’écris, c’est que j’espère, absurdement le contraire » (idem : 110). Pirotte s’attarde sur chaque détail : le « chouriço » (saucisson portugais) (idem : 79), l’« ail français » (poireau) (idem : 78) ou le « caldo verde » (soupe aux pommes de terre, au chou et au saucisson) (idem : 127).

Perçu sous un prisme livresque, le Portugal « est un songe, ou si l’on veut, une extrême réalité littéraire » (idem : 14). Des lieux « poétiques » sont mis en évidence, comme « Salir do Porto et sa baie » (idem : 92) ; « Alcobaça et son abbaye, la Reine morte » (idem : 57) ; Coimbra et la rue typique de Quebra-Costas (idem : 20) ; le Minho, au Nord du Portugal, et les vinhos verdes élaborés à partir de raisins qui ne sont pas arrivés à maturation, ou encore la Serra da Estrela et son paysage primitif. Dans ce roman, d’autres réminiscences littéraires induisent un dialogue entre le narrateur et un Portugal mythifié : Alcobaça, Lisbonne vue du Terreiro do Paço (place principale du centre de Lisbonne).

Notons finalement que Pirotte a également été critique de littérature portugaise. En effet, il a commenté des auteurs comme Agustina Bessa Luís, Ramos Rosa, Mário de Sá Carneiro ou António Lobo Antunes pour la revue Lire le Portugal (Fondation Calouste Gulbenkian). Mais le Portugal lui procure un autre plaisir indicible : associer l’écriture à la dégustation de vins : « Je me borne à penser à ce blanc d’Obidos que je déguste en écrivant ceci » (Pirotte, 1996 : 81).

 

Lieux de passage

Portugal, Hollande, Belgique

 

Citations

Je vis ici [Alcobaça] comme j’ai vécu partout ailleurs. Ai-je vécu ? (1996: 57).

 

Bibliographie sélective des oeuvres citées

PIROTTE, Jean-Claude (1981), Journal moche, Paris, Luneau-Ascot.
—- (1982), La Pluie à Rethel, Paris, Luneau-Ascot.
—- (1984), Fond de cale, Paris, Le Sycomore.
—- (1987), La Vallée de misère, Cognac, Le Temps qu’il fait.
—- (1988), Les Contes bleus du vin, Cognac, Le Temps qu’il fait.
—- (1989), Sarah, feuille morte, Cognac, Le Temps qu’il fait.
—- (1992), Récits incertains, Cognac, Le Temps qu’il fait.
—- (1994), Plis perdus, Paris, La Table Ronde.
—- (1996), Un voyage en automne, Paris, La Table Ronde.
—- (1997), Cavale, Paris, La Table Ronde.
—- (1998), Boléro, Paris, La Table Ronde.
—- (1999), Mont Afrique, Paris, Le Cherche midi.
—- (2002), Un rêve en Lotharingie, Paris, National Geographic Society.
—- (2004), Chemin de croix, (em colaboração com Sylvie Doizelez), Paris, La Table Ronde.

 

Bibliographie sélective des études critiques

ALMEIDA, José Domingues de (2004), Auteurs inavoués, Belges inavouables. La fiction, l’autofiction et la fiction dans l’œuvre romanesque de Conrad Detrez, Eugène savitzakaya et Jean-Claude Pirotte. Une triple mitoyenneté, thèse de doctorat inédite, Porto, edição do autor.
BEAUREGARD, Joseph (2001), “Jean-Claude Pirotte. Les fugues d’un avocat vagabond”, in Des hommes en cavale, Paris, Arte éditions/Mille et une nuits.
BERTRAND, Alain (1995), Jean-Claude Pirotte, Bruxelles, Labor, col. “Un livre, une œuvre”.
CHARLES, Pol (1999), Les Cavales de Jean-Claude Pirotte, Bruxelles, Talus d’approche.
CHARNET, Yves (1999), “La vie malgré tout. Jean-Claude Pirotte ou le romanesque des récits incertains”, Écritures contemporaines, nº 2, États du roman contemporain.
LECLERC-ROBONI, Josiane (1995), “1984-1990 : Jean-Claude Pirotte, un auteur à la recherche de lui-même”, La Belgique telle qu’elle s’écrit. Perspectives sur les lettres belges de langue française, New York, Peter Lang Publishing.
PIEROPAN, Laurence (1997), “La Belgique littéraire. Entre l’image poétique et le langage”, Cahiers francophones d’Europe centre-orientale, nº 7/8, tome 2, Belgique francophone : quelques façons de dire les mixités.
SAUTIER, Tristan (1998), “Jean-Claude Pirotte, entre la musique et la mort”, La Revue Générale, nº 4.

 

Version originale en portugais: José Domingues de Almeida (2011/11/10)

Traduction: Jessica Ferreira Belo

Révision: Isabel V. F. de Sousa